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Le mot latin « conflictus » signifie au sens propre : « choc »,
et au figuré « combat ». Dans un conflit, deux entités
s’attaquent mutuellement.
En dehors du champ humain, le terme
désigne aussi, par analogie, une incompatibilité. Par souci de
précision, nous ne considèrerons que la notion de conflit au sens
strict, impliquant un combat (pas forcément physique) entre
personnes. Inutile d'avoir plusieurs mots pout désigner la même
chose. Il est donc judicieux de ne pas faire du terme « conflit »
un simple synonyme d'« affrontement » voire de « désaccord ».
Le conflit est alimenté par une attitude
combative, correspondant à l’émotion de colère. Cette attitude
résulte d’une disposition innée profondément enracinée dans
notre psychisme. Attitude qui peut être utile, en présence d’un
danger, mais qui s’avère souvent nuisible (comme tout comportement
irrationnel).
Cette attitude consiste, lorsque l’on se sent mal,
à chercher hors de nous, et de préférence dans une personne, une «
cause » à notre souffrance, puis à nourrir un sentiment
d’hostilité envers la personne considérée comme « cause »
(plus ou moins consciemment).
Cette hostilité tendra à se
manifester par une attaque, c’est-à-dire la production délibérée
d’un malaise chez la personne qui fait l’objet de notre
hostilité. C’est ce que nous appellerons l’instinct punitif : «
c’est à cause de toi, donc je te punis ».
La réponse peut être immédiate : « -Casses-toi tu pues ! -T’as
le nez trop près de la bouche… » c’est ce que l’on appelle «
avoir de la répartie ».
Mais elle peut également être
différée. Ce qui correspond à la rancune.
La riposte pourra
alors être amplifiée grâce à la rumination : les pensées sont
activées et dirigées par le sentiment d’hostilité, ou être au
contraire atténuée (grâce à une relativisation du problème ou la
recherche de solutions plus efficaces).
Notons bien que cet instinct, avant d’être agressif, est accusatoire : il implique la recherche d'un responsable… à tort ou à raison. D’où le phénomène du bouc émissaire : les agressions contre les minorités ethniques redoublent en période de troubles économiques ou d’épidémies.
Le problème des conflits est qu’ils ont tendance à perdurer,
voire à s’amplifier. Ainsi, par le jeu des ripostes différées,
le problème peut s’éterniser.
Si la punition infligée (par
chacun) correspond à une souffrance plus forte que celle qui l’a
motivée, il y a escalade de la violence. Ceci correspond,
mécaniquement, à un phénomène de résonance (ou « rétroaction
positive »).
Cette escalade explique qu’une gêne mineure (à
un instant donnée) soit parfois à l'origine d'une violence extrême.
Les vendettas et autres conflits inter-communautaires (pouvant se
terminer par un génocide) en sont une illustration.
Pour qu’il
y ait escalade, il n’est pas nécessaire que les représailles soit
pires que les malaises les ayant provoquées. Si la réplique est
suffisamment rapide, elle peut se superposer à la souffrance
précédente, de sorte que la souffrance totale va en s’accroissant.
Cela dépend de la rémanence des souffrances infligées
(c’est-à-dire : de leur persistance temporelle chez le récepteur),
et de la vitesse de réaction (temps s’écoulant entre le début du
malaise et la riposte).
En outre, ce n’est pas seulement la
violence de la réplique telle que voulue par son auteur qui est à
prendre en compte, mais aussi la sensibilité du récepteur à la
violence : quelqu’un peut percevoir comme très violent ce que
d’autres perçoivent comme anodin.
On voit donc qu’il suffit que les deux protagonistes aient un
instinct punitif suffisamment développé pour que les conflits
soient violents et fréquents, même si le malaise initial est
faible.
Plus exactement, les éléments suivants sont à prendre
en compte dans le « développement » de l’instinct punitif :
-
la sensibilité à la souffrance
- la mémoire de la souffrance
(rémanence)
- la tendance à chercher une cause extérieure à
soi
- la tendance à considérer la notion de personne (plutôt
que de comportement, par exemple)
- la rapidité de la riposte
-
la sévérité de sa riposte (par rapport au motif)
- l’emprise
de la colère sur l’esprit (rumination)
N’importe quel malaise initial peut faire l’affaire. La « pomme de discorde » peut être une situation de concurrence banale (chacun des protagonistes veut la « pomme » pour lui), un inconfort (l’autre parle trop fort, sent mauvais etc.), une culpabilité, un sentiment d’injustice… (Dans ce dernier cas, l’hostilité n’est autre que la jalousie).
Face à un malaise, et donc, en particulier, un conflit, nous réagissons de l'une des quatre façons suivante: nous ripostons, nous supportons, nous fuyons ou nous réfléchissons.
Ceci est le contraire de la solution, puisque comme nous venons de
le voir, c’est précisément la tendance à riposter qui détermine
le cercle vicieux de la violence. C’est le principe même du
conflit au sens strict !
Certes, ce mécanisme peut se justifier
dans des cas particuliers : si un individu de taille modeste se jette
sur moi avec l’intention de me poignarder, et qu’il n’est pas
possible de m’enfuire, il est bon que mon organisme mobilise
rapidement une force et une attention importante pour maîtriser
l’agresseur. Tel est le rôle de la colère. Il s’agit alors
d’une légitime défense nécessaire à court terme. De telles
circonstances sont exceptionnelles dans la vie moderne…
En
pratique, comme disait Gandhi, "œil pour œil, dent pour dent",
ne fait jamais que des aveugles et des édentés…
La « solution » la plus simple consiste à ne rien faire, même
mentalement : à se contenter de supporter. Dans ce cas, la
souffrance produite en nous est toujours présente. De plus, si l’on
n‘y prend pas garde, l’instinct punitif demeure actif,
inconsciemment. L’hostilité ne disparaît pas, mais reste stockée
en nous.
Si le malaise se reproduit souvent, ce qui sera
typiquement le cas dans une vie en communauté, la quantité de
colère accumulée augmente… jusqu’à l’explosion. Cette
dernière est alors difficile à comprendre pour les autres, et peut
être particulièrement injuste et inappropriée. C’est l’effet «
cocotte minute ».
Vu que, pour des raisons évidentes, on a
tendance à supporter sans broncher les agressions des plus forts,
c’est souvent aux plus faibles que nous que nous faisont payer
notre souffrance (inconsciemment)…
Vu que nous avons
généralement dû supporter de nombreuses paroles désagréables
dans le passé (« range ta chambre », « tu as fait tes devoirs ? »
etc.) il y a en nous beaucoup de colère accumulée, qui pourra être
activée par certaines remarques ou situations…
La colère
rentrée peut encore avoir des effets néfastes sur notre propre
santé
(voir à ce propos les traveaux d'Henri Laborit, et en
particulier, concernant les méfaits de l'inhibition de l'action,
ses expériences
sur des rats).
Bref, le refoulement ne fait que déplacer le problème et le rendre plus inextricable.
La fuite consiste à éviter physiquement la source du malaise.
Cela peut être une sage mesure, dans certains cas. La fuite
correspond d’ailleurs à un instinct profond, tout comme le combat,
d’où sa mise en œuvre fréquente.
Mais comme nous le verrons,
il y a des solutions beaucoup plus enrichissantes et constructives.
De plus, dans la perspective d’une vie en communauté, c’est
typiquement une cause d’échec... Beaucoup s’enfuient au moindre
problème, et se condamnent donc à rester seuls.
Vu qu’il
n’est pas possible concrètement d’éliminer toute interaction
avec autrui (nous ne disposons que d’une planète), cela ne fait
que reporter le problème. Un mode de vie individualiste renforce
paradoxalement les conflits d’intérêts : chacun étant centré
sur l’accaparement nécessaire de ressources matérielles pour sa
tranquillité ou sa survie, et celles-ci étant limitées, il y a
compétition... qu’on le veuille ou non. Le repli sur soi, s’il
peut être salutaire à court terme, est une solution illusoire pour
le long terme.
L'abondance des conduite addictives dans notre
société est probablement une manifestation du réflexe de fuite.
La fuite n’est pas nécessairement physique, elle peut consister à ne pas écouter autrui (pour ne pas souffrir du malaise que cela pourrait induire), ou encore à le « juger » pour justifier notre non-écoute.
Au lieu de réagir sans se poser de questions, ce qui entraîne la riposte, la fuite ou l’inhibition (supporter), conformément aux trois réactions élémentaires(voir à ce propos les traveaux d'Henri Laborit, et en particulier, concernant les méfaits de l'inhibition de l'action, ses expériences sur des rats) répandues dans le règne animal : le combat, la fuite et la paralysie (inhibition), on peut mettre en œuvre une démarche rationnelle : observer, relier, décider.
Observer ce qui se passe autour de soi, mais aussi et surtout en soi. Déterminer les causes et les conséquences probables des différentes observations, en se fondant sur l’expérience et la logique (ce qui revient à « relier » d’une certaine façon ses différentes observations). Puis décider consciemment en fonction de ce que l’on sait et de ce que l’on veut au plus profond de soi.
L’aboutissement de cette réflexion pourra être, dans certains
cas (plutôt rares), la riposte, la fuite ou l’inaction… mais
l’attitude choisie tendra alors à être plus favorable à nos
objectifs à long terme qu’en l’absence de réflexion. Bien sûr,
cette démarche n’est possible que lorsque l’on dispose du temps
nécessaire, mais c’est généralement le cas…
La décision à
prendre dépend bien entendu des circonstances exactes dans
lesquelles on se trouve. Les remarques générales qui suivent sont
toutefois utiles.
Pour que la réflexion soit efficace, elle ne doit pas se faire
sous l’emprise d’une trop forte émotion (colère ou peur). Il
importe donc de réduire celle-ci, le cas échéant.
Pour ce
faire, rien de tel que l’observation de ce qui se passe en soi, de
ses sentiments, le tout conjugué à une volonté de détachement, et
au besoin d’une respiration ample et lente. C’est lorsque les
émotions agissent inconsciemment qu’elles sont plus actives et
déterminent des comportements moins appropriés.
Vient ensuite la recherche des causes. Celles-ci sont généralement
multiples, et il convient donc de faire un inventaire aussi complet
que possible.
Un malaise a toujours au moins une cause interne et
une cause externe. La première se situe dans l'esprit du sujet, et
la seconde, dans son environnement.
Or, généralement, nous nous
focalisons exclusivement sur la cause externe, ce qui favorise les
conflits. L’analyse rationnelle déterminera s’il convient d’agir
sur la cause externe ou sur la cause interne. Souvent, il conviendra
d’agir sur les deux.
Prenons quelques exemples simples.
1- Je ressens une violente douleur dans le pied. Quelqu’un
appuie son pied sur le mien.
Dans ce cas, la cause interne est
simple : des terminaisons nerveuses m’avertissent d’un danger
pour mon organisme. La solution rationnelle est d’agir rapidement
sur la cause extérieure : en retirant mon pied (si c’est possible)
ou en demandant à la personne de cesser de me marcher dessus !
2- Une personne me parle sans arrêt pour dire des choses
évidentes et répète souvent les mêmes idées. Il s’agit d’une
gêne légère que je pourrais supporter sans problème si cela ne
durait qu’une heure ou deux, mais je devrais fréquenter longtemps
cette personne (vivre en communauté avec elle, par exemple).
Là
encore, il n’y a pas lieu d’agir sur la cause interne (sauf pour
conserver un certain calme), car cette situation nuit objectivement à
mon souhait d’utiliser mon temps d’une autre façon. Je me dis
encore que si je ne fais rien, il y a un effet « cocotte minute » à
prévoir. Je me dis également que le comportement de cette personne
peut être désagréable pour d’autres. Je décide donc d’expliquer
le problème à la personne « bavarde », puis, si elle le souhaite,
de l’aider à s’améliorer.
3- Je me sens mal suite à une remarque d’un interlocuteur. Au
lieu de céder à l’instinct punitif, à la fuite ou à
l’inhibition, j’ai le réflexe de me calmer, et d’observer ce
qui se passe en moi : « d’où vient la souffrance ? », « quel
besoin est concerné ? », « quels souvenirs sont réactivés ? »
etc.
Dans ce cas, l’action externe, consistant à demander à la
personne de ne plus me faire ce type de remarque à l’avenir est
délicate, car elle peut enclencher un conflit. En outre, certaines
remarques, même désagréables, peuvent être utiles en soi…
L’action, ici, doit donc d’abord porter sur soi-même, car
elle est relativement facile (même si elle peut prendre un certain
temps) et j’en retirerai un bénéfice important : une réduction
définitive de ma sensibilité à la souffrance.
Grâce à cette démarche, il y a progrès personnel. C’est
toujours par action sur les causes internes, que l’on
progresse.
Ainsi, ceux qui nous font souffrir nous donnent
l’occasion de croître en sagesse.
Pour quelqu’un qui
souhaiterait lutter activement contre la souffrance dans le monde, un
tel progrès est particulièrement nécessaire, car il devra
affronter la violence. De plus, en pratique, il n’est guère
possible de demeurer dans un « cocon », on n’a pas le
choix…
Ainsi, celui qui fuit la souffrance, qui s’en protège
systématiquement, se maintient dans l’incapacité de vivre serein
et heureux. Il n’apprend rien. Il se condamne à être la proie
perpétuelle de la frustration, de la vexation, de la colère, de la
peur, de l’ennui etc. Bien sûr, comme nous l’avons vu, il y a
des cas où la fuite est nécessaire : si l’environnement est
vraiment trop violent par rapport à notre capacité à l’affronter.
Mais il ne doit s’agir alors que d’un repli stratégique, d’une
façon de se protéger pour reprendre des forces. Une jeune plante a
besoin de protection, mais pas trop : elle doit pouvoir s’exercer à
affronter le monde à la mesure de ses capacités, lesquelles vont
croître. La protection doit donc aller en décroissant en fonction
des progrès accomplis.
Voici donc un moyen pour être de plus en plus
heureux :
A chaque fois que je ressens un malaise.
Je le reconnais, j’essaie d’en prendre conscience.
J’évite toute réaction intempestive (je ne réagis pas)
Je m’enquiers de l’ensemble de ses causes internes et externes
Je détermine le programme d’action le plus approprié, pour mettre un terme au malaise ou éviter qu’il ne se reproduise. Ce programme pourra comprendre des actions intérieures et extérieures.
J’agis conformément à ce programme.
Comme nous l’avons vu, à l’origine d’un conflit, il y a
toujours une souffrance. La personne cherche alors une cause hors
d’elle-même, et plus précisément chez des êtres humains qu’elle
pourra ainsi punir… Nous avons vu qu’il est essentiel, pour
éviter les conflits de ne pas céder à l’instinct punitif.
Il
est une solution plus radicale : ne pas souffrir, ou du moins, ne
souffrir que faiblement, car c’est lorsque la souffrance est forte
qu’elle déclenche ce genre de comportement irrationnel.
Cultiver
un certain détachement prévient donc les conflits.
Nous allons voir qu’une certaine compassion a, quant à elle, un effet non seulement préventif, mais encore curatif : elle s’oppose aux conflits.
Le terme « compassion » signifie, étymologiquement « souffrir
avec ». En tant que souffrance, la compassion peut alimenter les
conflits. Par exemple, je peux vouloir venger la souffrance infligée
à un proche. Il s’agit alors, en quelque sorte, d’un instinct
punitif par procuration, sans doute pas étranger à la justice
humaine traditionnelle…
Mais la compassion est généralement
une souffrance très atténuée par rapport à celle qui la suscite,
et d’une nature différente. De plus, elle tend à s’appliquer à
tout le monde, sans discrimination. C’est seulement ainsi qu’elle
s’oppose aux conflits.
La source des conflits réside dans une discrimination dont l’égoïsme n’est qu’un cas particulier. Si toute souffrance me touche, où qu’elle réside, je vais éviter de punir, car cela revient à infliger une souffrance. Je vais chercher des solutions plus favorables à l’intérêt général, au plus grand bonheur de tous. Je vais m’opposer aux conflits en eux-mêmes, puisqu’ils sont une source majeure de souffrance.
A l’inverse, un égoïste voyant
quelqu’un en souffrance pourra lui reprocher l’inconfort que cela
provoque en lui-même ! La communication entre égoïstes est ainsi
envahie par les reproches, et engendre les conflits.
« t’en
fais une tête ! » « t’as qu’à regarder ailleurs » «
houlala, monsieur n’est pas content » « non mais, t’as vu comme
tu m’agresses ? », « moi ? » « et toi, ta, tronche, tu la vue ?
pas terrible, non plus » « faut dire qu’en ta compagnie, ça peut
se comprendre »…
Si au contraire, chacun n’est pas centré
sur la défense de son bien-être immédiat, mais sur le bien-être
de chacun, équitablement, la souffrance de l’un va déclencher
l’aide de l’autre.
« ça n’a pas l’air d’aller,
j’aimerais pouvoir t’aider », « je suis inquiet à cause de…
»
La compassion universelle est un remède puissant aux conflits,
non seulement parce que je vais éviter de punir à cause de la
souffrance que cela produit, mais encore parce qu’étant moins
préoccupé de moi-même, je vais moins souffrir.
Afin de
s’opposer à un conflit existant, la compassion doit toutefois être
suffisamment forte pour contrebalancer l’instinct punitif. C’est
ainsi seulement que l’on pourra « aimer ses ennemis ».
Comment
y parvenir ? En développant suffisamment sa compassion. Comment ? En
entretenant les pensées aimantes et en limitant, au contraire, les
pensées punitives. Ceci implique d’observer son propre
fonctionnement, sans complaisance. Il s’agit de cultiver son esprit
comme un jardin au service de la paix et du bien-être de tous.
Pour contrecarrer l’instinct punitif, et accéder facilement à
une compassion universelle on peut encore considérer que les
problèmes résident non pas dans des personnes, mais seulement dans
des comportements.
Ainsi, je pourrai accéder plus facilement à
la compassion pour celui qui m'agresse, car son comportement punitif
est la conséquence immédiate d’une certaine souffrance… En
observant les mécanismes en jeu, dans leur globalité, on ne voit
plus, en fin de compte, qu’un seul ennemi : la souffrance. Et l’on
s’attaque à ce qui y conduit, à commencer par l’instinct
punitif.
La mise en cause des personnes est sans doute une des plus grandes calamités humaines. Elle entraîne non seulement le racisme et les génocides, mais aussi notre propre susceptibilité. C’est en effet pour protéger notre personne (qui a souvent été « attaquée »), que nous nous défendons et ne supportons pas les jugements sur nous-mêmes.
Mais qu’est-ce que la personne ? qui suis-je ? Clairement, je ne
suis ni mon corps, ni mes pensées, ni mes sentiments. Je suis celui
qui les a, qui les produit, qui les choisit à chaque instant, libre
d’en changer, de les faire évoluer…
Ce n’est donc jamais la
personne que nous devrions critiquer, au contraire… Ce n’est
jamais ma personne que je devrais sentir critiquée, mais uniquement
mon comportement passé. Pourquoi défendrai-je mon comportement
passé, si ce n’est parce que je l’amalgame, à tort, avec ma
personne ?
La critique de mon comportement (nécessairement passé)
ne peut que m’aider à évoluer dans le sens que je souhaite,
aider… ma personne.
Pour limiter la souffrance relationnelle, on pourra donc, en tant
qu’émetteur, formuler ses critiques en désignant explicitement la
chose concernée (comportement, corps…) et en employant toujours le
passé.
« ce que tu as fais là ne me convient pas, parce que…
» et bien sûr jamais : « Qu’est-ce que tu es… », « tu fais
toujours… »…
En tant que récepteur, on prendra soin de
traduire les « Tu es… » par des « Jusqu’à présent, tu te
comportes… » et les « Tu fais toujours… » par « Jusqu’ici,
pour moi, tu fais trop souvent … », puisque, prises à la lettre,
ces affirmations seraient absurdes.
Une source particulièrement fréquente, et
paradoxale, de conflits est la peur d’être en faute, ou, plus
généralement, d’être désagréable envers autrui. Ce n’est pas
le souci d’être agréable qui est le problème, ici, au contraire,
mais la souffrance excessive qui est derrière cela.
Si la
souffrance est trop forte, au lieu de simplement tirer parti d’une
critique sur mon comportement passé pour améliorer celui-ci à
l’avenir, je vais fuir, refouler ou attaquer ; rejeter la critique
au lieu d’en tirer profit. En particulier, je vais être tenté
d’accuser pour éviter d’être en cause. D’où le caractère
conflictuel de la critique. D’où une situation où tout le monde
rejette la faute sur tout le monde, et où les problèmes demeurent
tandis que les conflits abondent.
Mais pourquoi une telle hyper-sensibilité ?
Cela tient tout
d’abord à l’amalgame que nous venons de voir autour du concept
de personne, de « moi ».
Cela tient également à une autre
illusion linguistique, le concept de valeur : à l’idée qu’il y
aurait des choses, et en particulier des personnes, qui auraient une
valeur en elles-mêmes. Or, a priori, une chose n’a de valeur que
pour une personne donnée, qui apprécie la chose. Avoir de la valeur
en soi signifie quelque part : « avoir de la valeur pour tout le
monde » ou, du moins, que si la chose n’est pas appréciée d’une
personne, cette dernière a « tort » ou perçoit mal ; un peu comme
quelqu’un qui ne verrait pas qu’une fleur est jaune... Le
caractère « jaune » est objectif car strictement sensoriel, pas le
caractère « valeureux »… Par conséquent, « avoir de la valeur
» est vécu comme crucial, hautement désirable, et ne pas en avoir,
catastrophique. Tout ceci étant, bien sûr, plus ou moins
inconscient.
On résout généralement cela, par un acte de foi :
on se dit à soi-même qu’on en a (de la valeur) ; on se blinde
contre ceux qui nous diraient le contraire. C’est ce que l’on
appelle la confiance en soi. Mais ce remède reste superficiel.
La
notion de faute a également ce caractère trompeusement absolu. Dans
la réalité, on ne nuit jamais qu’à un ensemble de personnes
précis, forcément limité. Celui qui est déclaré (ou se croit) «
en faute », ou « nuisible », s’imagine l’être pour l’univers
entier, ce qui est naturellement intolérable…
Les notions de
blâme, de reproche, d’accusation se sont imprégnées de ce parfum
d’absolu. Elles supposent également un rapport de supériorité de
celui qui blâme, d’où un possible conflit pour le pouvoir…
Dans la bataille pour être irréprochable, qui résulte de tout cela, on comprend que l’on ait tendance à oublier les « causes internes » (évoquées plus haut)…
Une solution radicale pour sortir de cette guerre permanente, consiste à réaliser ces illusions. A cesser de prendre pour des réalités objectives (« j'ai de la valeur, je suis fautif »), ce qui n’est qu’une illusion, la seule réalité sous-jacente étant : « je suis apprécié par..., j'ai provoqué... »)
Cette réalisation ne suffit cependant pas à une élimination
immédiate du problème, car il y a là-dessous des réflexes
émotionnels, des amalgames fortement ancrées en nous depuis la plus
tendre enfance.
Un de ces amalgames consiste à entendre, dans la
critique, un rejet. Or, être accepté d’autrui, appartenir à un
groupe est un besoin humain fondamental, dont la menace de privation
est donc particulièrement douloureuse, surtout pour les plus jeunes…
S’extraire de ce mécanisme prend donc nécessairement un
certain temps, mais cela est évidemment très bénéfique pour son
propre bonheur… et celui d’autrui ; puisque celui qui cesse
d’avoir peur d’être en faute, n’a plus de raison de reporter
cette dernière sur autrui.
En rejetant la faute sur autrui, j’entretiens chez lui, la sensibilité à la critique. Une société où chacun rejette la faute sur autrui constitue un cercle vicieux dont il est difficile de s’extraire, à moins d’une prise de conscience certaine conjuguée à une volonté qui ne l’est pas moins...
La communication est un type particulier d’action (Nous en avons
vu trois exemples dans « les causes d'un malaise ».
Si elle
peut aider à résoudre les problèmes, elle peut également
alimenter des conflits. D’où la nécessité d’un soin
particulier dans la façon de s’exprimer, d’écouter et de
comprendre.
En particulier, il ne suffit pas d’être dans la compassion et la bienveillance, ni même d’être libéré des illusions de la personne et de la faute, pour que ses propres messages ne soient qu’une source d’apaisement.
Même utile, un message peut engendrer un malaise chez le
récepteur. Or, comme nous l’avons vu,
tout malaise peut entraîner un conflit.
Malheureusement, c’est
particulièrement le cas des messages utiles pour résoudre les
problèmes… Ne serait-ce que parce qu’ils évoquent les problèmes
!
Par exemple, une demande peut être désagréable (si le travail
demandé paraît pénible), l’évocation d’une nuisance dont le
récepteur est responsable lui est désagréable : il se sent
coupable. Or, il peut être globalement bénéfique de la faire.
Souvent, nous tardons à communiquer (par peur des conflits), puis nous le faisons de façon intempestive (effet cocotte minute), rapide, détournée (« tu l’as déjà dit », « on le sait », « tu peux nous laisser tranquille, là ? »…), ce qui ne manque pas d’attiser les conflits, en particulier parce que les messages ne sont pas suffisamment explicites, et qu’un agacement est transmis à travers les canaux para-verbaux. Des choses essentielles ne sont pas dites.
Il ne faut pas perdre de vue qu’un message doit être
interprété, et que cette interprétation incombe à celui qui le
reçoit.
Beaucoup de messages, dans la vie courante, nécessitent
de deviner une intention de leur auteur, à la lumière de laquelle
ils sont compris. (exemple : « -vous avez l’heure ? -il est trois
heures »). Mais l’attribution de la bonne intention n’est jamais
totalement certaine. Elle n’est elle-même qu’une interprétation…
qui se fonde en particulier sur le message lui-même. Pour ce faire,
on tâche d’abord de répondre à la question : « pourquoi me
dit-il cela ? »
Ainsi, lorsque je m’entends adresser « t’en fais une tête !
», je me demande pourquoi l’interlocuteur prend la peine de me
faire remarquer mon expression maussade. Je peux en déduire que
cette expression lui est désagréable, et qu’il me fait donc un
reproche. Un reproche étant désagréable, par nature, puisqu’il
évoque un désagrément dont on est responsable (sans même parler
des illusions évoquées plus haut), je ressens un certain malaise.
D’où la riposte évoquée ( plus
haut) : « t’as qu’à regarder ailleurs ».
J’aurais pu
cependant interpréter le message autrement, en supposant que
l’interlocuteur était dans la compassion…
Or, nous faisons spontanément l’hypothèse correspondant à
notre expérience la plus courante Hypothèse dont on oublie
rapidement que ce n’est qu’une hypothèse… C’est ainsi que
dans une société fondée sur l’illusion égotique et la morale
(l’illusion
de la faute et de la valeur), les message insuffisamment
explicites sont généralement interprétés comme un reproche ou une
attaque...
D’où le caractère souvent conflictuel de la
communication, et le manque de communication par peur des conflits.
Contrairement à ce que l’on croît souvent, ce n’est pas «
le jugement », ou le fait de « parler sur l’autre », qui est le
problème, c’est la raison pour laquelle on juge et on parle sur
l’autre.
En effet, si je dis à quelqu’un « tu es formidable
», je fais bien un jugement sur lui, lequel n’est pas de nature à
déclencher quelque hostilité, au contraire…
Mais dans les cas
où l’intention bienveillante ne découle pas sans ambiguïté du
contexte, c’est une intention hostile qui est supposé… D’où
le risque qu’il y a à parler sur l’autre…
Ne désigner que
son comportement est insuffisant (même si c’est, comme nous
l’avons vu, préférable), car l’autre va immédiatement
s’identifier à son comportement…
La solution : être
suffisamment explicite quant à ses intentions.
De plus, le fait d’être objet du discours peut également être
vécu comme une prise de pouvoir et déclencher une riposte pour
cette raison.
Pour éviter toute interprétation dans ce sens,
une méthode efficace consiste à se présenter soi-même comme le
lieu du problème, ou en état d’infériorité potentielle. On
mettra donc l’accent sur la source du malaise en soi (la cause
interne), puis on formulera une demande d’aide.
Si au
contraire, on se contente de faire une « remarque », celle-ci est
forcément mal vécue…
De plus, en procédant ainsi, on fait
appel à la compassion de l’autre, ce qui revient à développer
une disposition socialement positive… à l’inverse de la
culpabilisation.
Ainsi, le « tu l’as déjà dit » devient, par
exemple : « J’ai besoin de me focaliser sur l’essentiel. Ta
compagnie me serait plus agréable si tu ne disais qu’une fois
chaque chose et laissais plus de temps au silence. Penses-tu pouvoir
faire quelque chose dans ce sens ? »
On pourrait penser qu’il suffit que chacun soigne sa parole ou bien que chacun soigne son écoute. En pratique, les deux sont nécessaires, car il n’est pas possible d’avoir une parole parfaite, ni une écoute parfaite, à chaque instant. Il est question ici d’acquérir de nouvelles habitudes, ce qui ne peut se faire que progressivement. Or, nous sommes tous issus d’une culture profondément violente et compétitive. La nouvelle culture est à construire... Pour la faire advenir le plus rapidement possible, il faut donc mettre tout en œuvre pour « limiter les dégâts » : faire de son mieux en tant qu’émetteur et en tant que récepteur. Il faut agir sur soi, sans rien attendre d’autrui (ne rien attendre ne signifiant pas ne rien faire pour l’aider…)
En résumé, voici quelques conseils pour une bonne communication :
Attendre un moment opportun (où l’autre soit suffisamment calme, par exemple).
Si un malaise est à prévoir chez l’interlocuteur, se préparer soi-même à garder son calme, pour ne pas contribuer à une escalade de la violence (qui nécessite au moins deux protagonistes…) Pour ce faire, on pourra se maintenir dans une position d’observateur attentif des processus en soi-même et chez l’autre, et bien sûr, ressentir de la compassion…
Pour limiter le risque de souffrance induite (et donc, de conflit), le message devra être aussi explicite que possible, en particulier sur ses intentions, et respecter la construction suivante :
Nature du malaise (sentiment en soi),
Origine en soi (cause(s) interne(s), que l’on aura pris le temps de déterminer),
Cause(s) extérieure(s) décrite avec objectivité (et correctement nuancée),
Proposition (éventuellement sous la forme d’une invitation à chercher une solution).
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(*) Sur le site d'amopie (amopie.org) il y a meme des "tests" de compréhension de ces pages et surtout toute leur theorie pratique politique, culturelle et economique... pour parvenir a un peu radicalement ameliorer nos relations et modes d'existence.. (C'est un peu trop citoyenniste et croyant a l'economie, des erreurs "religieuses" aux regards des redacteurs de ce présent opuscule, mais cela vaut aussi vraiment le coup d'oeil, le debat et meme l'experimentation! Il y a aussi un enhancement de la Cnv, sous forme "rationelle et humaniste.. mais nous n'avons pas encore retrouvé les pages en question!
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